Interview
Interview de Laurence Katzenmayer : “Il faut faire ce qu'on a envie de faire quand on est jeune. Il faut le faire maintenant” "
Entrevue avec l'adjointe au maire de Toulouse et maire des quartiers Capitole Arnaud-Bernard et Carme, Laurence Katzenmayer.

[Fédé]
Bonjour madame Katzenmayer, vous êtes adjointe au maire de Toulouse et maire des quartiers Capitole Arnaud-Bernard et Carme.
En étudiant votre profil, nous avons pu constater votre implication dans de nombreux domaines, notamment celui de la petite enfance et les logements sociaux. Est-ce que cela démontre une personnalité très investie chez vous ?
[Laurence Katzenmayer]
Certainement, puisque pour ceux qui me connaissent, mon métier d'origine c'est infirmière, donc s'occuper des autres.
[Fédé]
Quelles sont les raisons de votre engagement dans ces deux causes-là ?
[L.K]
Lorsqu'on a été élu en 2014, c'était une volonté de ma part de travailler auprès des familles, des enfants, de la parentalité. Donc maintenant, je suis adjointe au maire à la parentalité.
Pour ce qui est du logement social, c'est venu un peu par hasard. J'ai été nommée administratrice de Toulouse Métropole Habitat. Et depuis 2014, j'en suis aujourd'hui vice-présidente.
[Fédé]
C'est un travail qui vous plaît ?
[L.K]
Oui, j'adore. J'aime beaucoup ce que je fais dans le logement social, sur ma délégation aussi auprès des copropriétés dégradées. Et c'est réellement la raison pour laquelle que je suis là. D'abord, c'est pour trouver des solutions et aider les gens.
[Fédé]
Ça fait maintenant plus de 10 ans que vous êtes dans la vie politique. Quels sont les changements les plus marquants que vous avez pu constater ? Comment cela fonctionne ? Comment les gens agissent ?
[L.K]
Moi, je suis arrivée société civile. Aujourd'hui, après onze ans de mandat, je pense que je suis plus sans étiquette que société civile, puisque après onze ans d'action politique, je pense que c'est plus la réalité.
Je dirais qu'il y a plus de personnes comme moi qui s'investissent alors qu'ils ne font pas de politique partisane. C'est-à-dire qu'on ne défend pas un parti politique. On fait de la politique au sens propre : pour la cité, pour les gens, pour les Toulousains.
[Fédé]
Est-ce que vous pouvez nous confier une anecdote marquante au cours de ces dix dernières années, justement ?
[L.K]
Je viens d'être nommée maire de quartier, et je pense que huit ou quinze jours après ma nomination, l'immeuble de la rue Saint-Rome s'effondre. Et là, j'enchaîne quinze jours où je reçois tout le monde, tous les gens qui viennent dans mon bureau. Et l'anecdote, c'est qu'on est face à cet immeuble qui est détruit, et j'avais rencontré le papa d’une des résidentes qui avait dû être évacuée de son appartement.
Le papa voyait la chambre de sa fille avec le bureau où était posé l'ordinateur dans lequel elle avait son mémoire de sage-femme.
Et Aude, pour ne pas la nommer, qui était d'astreinte, m'appelle et me dit "c'est bon, ils sont montés avec la nacelle et ils ont récupéré les affaires de la jeune fille".
Elle m'a envoyé des photos des parents en pleurs, avec des sacs où il y avait quelques affaires, parce qu'elle avait tout perdu.
Tout le monde s'est coordonné, et dans le chaos qu'a été cette chute, il y a eu cette petite dose d'humanité pour venir en aide à cette jeune fille et à ses parents.
[Fédé]
C'est une très belle anecdote. On entend souvent parler des copropriétés et de la mauvaise gestion de celles-ci, de leur manque d'investissement. Qu’en pensez-vous ? Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ?
[L.K]
Aujourd'hui, je lisais un article sur le non-sens de la copropriété en tant que telle. C'est-à-dire qu'une copropriété, c'est une petite société où personne ne s'entend, où tout le monde a envie de faire ce qu'il veut, en fonction de ses besoins.
Et donc, c'est vrai que c'est un monde qui est relativement contraint, voire difficile, mais la plupart des copropriétés fonctionnent. Cependant, moi, ma délégation, c'est des copropriétés dégradées, souvent des copropriétaires qui sont souvent pauvres, puisque c'est 52 copropriétés au Mirail, par exemple.
Alors, il y a aussi des copropriétés, où les copropriétaires, avec leurs moyens, entretiennent leur appartement, entretiennent leur immeuble. Donc, ce que je veux dire, c'est que je pense que je ne suis pas tellement d'accord. Qui dit copropriétés ne dit pas forcément manquement…
Je pense que c'est de l'engagement, c'est une micro-société. Il faut que les gens s'écoutent et s'entendent.
[Fédé]
Est-ce qu'il y a une différence entre les copropriétés qui sont gérées dans le social, et celles qui sont plus dans le privé ?
[L.K]
Alors, les copropriétés dont je m'occupe au Mirail, ce sont des copropriétés privées.
C'est-à-dire que, par exemple, dans le quartier de Bagatelle, 50 % des logements sont privés. Ces appartements appartiennent à des copropriétaires comme ceux qui habitent à la rue Saint-Rome.
Vous avez dans ces copropriétés, des copropriétaires habitants et d'autres bailleurs. C'est-à-dire que j'achète l'appartement pour le louer. C'est exactement la même population en centre-ville.
Alors, on a tendance à penser que ceux qui habitent l'immeuble, ils font plus attention et sont plus enclins à entretenir leur immeuble. Ce n'est pas mathématique. Ce n'est pas aussi simple que ça.
[Fédé]
Un autre sujet qui vous concerne, parlons des crèches et de la longue liste d'attente qui les concerne, pour obtenir une place. Quelles ont été vos actions par rapport à ça et quelles seraient les mesures efficaces qu'on pourrait mettre en place dans un futur assez proche ?
[L.K]
Alors, vous venez de citer un mythe. C'est-à-dire qu'il n'y a pas, il n'y a plus de longue liste d'attente. Dans certains quartiers, aujourd'hui, je n'ai pas assez de bébés. Ça, il faut le savoir.
On a énormément créé de places en crèche à Toulouse. On a créé plus de 1500 places en crèche. On observe une petite baisse des naissances. Mais surtout, l'utilisation du temps de crèche des familles a un peu été modifiée.
Avant, les enfants venaient cinq jours par semaine. Ce n'est plus le cas. Ça ne veut pas dire qu'on remplit les crèches avec plus d'enfants au même moment, mais on en accueille plus.
Alors, c'est variable. Là, par exemple, on va avoir la liste, en effet, qui va être un petit peu plus élevée, parce qu'on n'attribue plus de places, parce qu'on est en fin d'année. Les crèches, c'est comme l'école. Les “grands”, ceux qui vont avoir trois ans, partent à l'école, donc libèrent des places pour les bébés qui sont nés et qui vont pouvoir être accueillis.
Donc, les “moyens” passent aux “grands”, les bébés passent aux “moyens”, et les bébés qui viennent de naître seront dans le groupe de ce qu'on appelle les “petits”, qui sont les 0-1 an. Donc, en fait, c'est très complexe les attributions de places en crèche. Et à la fois, c'est très naturel aussi, parce qu'il y a des bébés tous les jours.
Donc, la sensation des familles, c'est, “moi, j'ai mon enfant qui est né à telle date, j'ai besoin d'une place à telle date, et je n'ai pas de place en crèche”. Mais ça ne marche pas comme ça.
C'est comme l'école. Il y a une rentrée. Et la rentrée, c'est en septembre.
[Fédé]
Est-ce que le télétravail a joué un rôle dans ces changements ?
[L.K]
Oui. Avant, les parents laissaient beaucoup plus longtemps leurs enfants. Maintenant, ils essaient de jouer un peu avec les grands-parents, avec le télétravail... Et ce n'est pas forcément très bien pour les enfants, parce que les enfants, ça aiment la stabilité.
Là, aujourd'hui, on a des enfants qui sont un peu ballottés de gauche à droite, et ce n'est pas très bon pour la qualité d'accueil. Et nous, ça nous crée des difficultés parce que le personnel, il est là. Donc, certaines fois, on prévoit le personnel, puisqu'on a des taux d'encadrement pour tant d'enfants, et les enfants ne viennent pas.
On est tout le temps en résilience pour essayer de coller aux besoins des familles.
Mais des fois, les familles nous sèment un petit peu par leurs nouvelles habitudes. Donc, il faut aussi qu'on leur explique que, quand elles s'inscrivent 5 jours, qu'on attribue une place pour 5 jours, elles ne peuvent pas arriver et nous dire « Non, ce n'est plus que 2 jours telle semaine, 3 jours une autre semaine », parce que nous, pendant ce temps, c'est un peu comme un restaurateur qui a ses repas qui sont réservés, il a le personnel pour faire 30 couverts, et puis finalement, à la dernière minute, on lui dit « Non, c'est plus que 10 », et puis le soir, il en a 40 de couverts, parce que le personnel ne va pas suivre et les approvisionnements non plus.
Avec une crèche, c'est un peu la même chose. Il faut pouvoir anticiper pour pouvoir accueillir les enfants le mieux possible, avec la meilleure qualité.
[Fédé]
Est-ce un changement que vous avez pu constater uniquement à Toulouse ou en nationale ?
[L.K]
Cela fait des décennies que les maires consécutifs de Toulouse ont investi dans la Petite Enfance, ce qui n'est pas le cas d'autres villes. Jusqu'au 1er janvier 2025, ce n'était pas une compétence obligatoire.
Le maire qui ne voulait pas ouvrir de place en crèche et développer des relais Petite Enfance pour accueillir les restants maternels, il pouvait ne pas le faire. Depuis le 1er janvier 2025, on a aujourd'hui la mise en place du service public de la Petite Enfance, où le maire devient autorité organisatrice. Là, on est en train de le travailler, cela va se peaufiner.
Toutes les villes de plus de 10 000 habitants vont être obligées de s'y mettre. Mais c'est vrai que c'est très disparate d'une ville à l'autre.
[Fédé]
On connaît vos engagements pour une ville plus verte et vers une mobilité plus douce, mais quel serait votre projet de rêve, novateur ?
[L.K]
La téléportation. (rire)
J'adorerais ça. Certainement que les personnes de ma génération devaient regarder Ma sorcière bien-aimée…
Je pense que ça réglerait beaucoup de problèmes. Après, je ne sais pas comment ça marcherait, mais ce serait super. Au moins pour les déplacements d’heures de pointes (rires).
[Fédé]
Maintenant, parlons de vous. Vous avez un agenda personnel très chargé. Quel temps personnel vous reste-t-il, et comment vous occupez-vous ce temps-là ?
[L.K]
Ce que j'adore, c'est rester chez moi et ne voir personne.
C'est ce que j'appelle mon break social. En vacances, je pars avec mon mari, mes enfants, et je ne parle à personne. Je suis polie, je dis bonjour aux gens.
Et mon temps libre, je le passe avec ma famille, mon mari, avec moi-même. Parce que je pense que pour quelqu'un comme moi, je suis quelqu'un d'hypersensible, il faut que je décharge les batteries. Et dans mon temps libre, j'aime lire, j'aime une bonne série Netflix, j'aime me promener...
Le week-end, je ne cherche pas vraiment à remplir mon agenda. J'aime bien aussi ne rien faire.
Être dans la réalité, profiter de l'instant présent, m'asseoir sur les marches de Saint-Pierre, prendre le soleil avec mon mari et regarder la Garonne... on le fait assez régulièrement.
C'est surtout pouvoir vraiment prendre du recul pour pouvoir repartir après le lundi avec ses batteries rechargées.
[Fédé]
Vous avez parlé de Netflix, que regardez-vous sur Netflix ? Avez-vous un genre de série préféré ?
[L.K]
C'est suivant mon humeur.
Par contre, je les regarde toujours en Version Originales (VO) parce que ça me dépayse, et justement, ça me fait décharger les batteries.
Je regarde très peu les séries françaises, peut-être même jamais, je pense. Je regarde des séries plutôt anglo-saxonnes, américaines. Je ne regarde pas les séries les plus populaires non plus.
Je vis le moment.
Bientôt, la plateforme HBO Max va proposer la troisième saison de White Lotus. J'ai adoré les deux premières saisons. Ça se déroule dans des hôtels, dans des pays différents, j'adore.
[Fédé]
Question plus légère. Quand vous êtes arrivée dans votre bureau, est-ce que vous avez changé la décoration ou est-ce que vous vous êtes juste installée ?
Comment est l'ambiance générale ?
[L.K]
Alors, le bureau dans lequel vous êtes, quand je suis arrivée, il était comme ça, il était tout blanc. On m'a juste confié le tableau qui est derrière moi (Gambit de l’artiste Victor Gray).
On a la chance de pouvoir exposer dans nos bureaux des tableaux qui viennent des musées. Celui-là, il vient des musées des Abattoirs

[Fédé]
Avez-vous la possibilité de changer le décor si vous le souhaitez ?
[L.K]
Oui, mais je trouve que quand les choses vont bien, je garde, même si ce n'était pas tout à fait mon goût, c'était propre, c'était tout blanc. Pour une infirmière, ça fait un peu bloc opératoire, mais c'est fonctionnel. (sourire)
J'ai la chance d'avoir un bureau avec une petite table pour recevoir les personnes, c'est propre.
Ce que j'ai fait, par contre, c'est désencombré parce que l'élu qui était avant moi avait beaucoup de dossiers, donc des placards. Et moi, je ne stocke pas, je n'imprime pas. Je n'ai pas besoin de rangement, donc j'ai gardé un seul placard.
J'ai besoin que les énergies passent. Je préfère le feng shui à l'accumulation. Je préfère quand c'est un peu aéré. D'ailleurs, vous voyez, à part ce tableau, il y a très peu de choses.
[Fédé]
Quel est votre plus grand rêve ou objectif personnel ? Et si vous l'avez déjà réalisé, quel était le rêve ?
[L.K]
Avoir un équilibre familial. Un homme que j'aime depuis 35 ans et des enfants que j'aime. Je suis prête à tout pour mes enfants et mon mari. C'était, quand j'étais jeune, ce qui était le plus important pour moi et je pense qu'aujourd'hui je l'ai réussi. C'est important d'avoir cet équilibrage aussi. Et c'est pour ça que j'ai toujours fait des choix en fonction de cela pour ne pas créer de déséquilibre.
Parce que demain, si je ne suis plus élue, j'aurai toujours mon mari et mes enfants. Vous voyez ce que je veux dire ? Et ça, pour moi, c'est vraiment important...
Construire son cocon, c'était quelque chose qui était important pour moi. Et qui a toujours autant de valeur et de prix. Voilà, je suis vraiment très attachée à ça.
[Fédé]
Vous arrivez à concilier du temps pour eux quand ils vous le demandent ?
[L.K]
Le poste de Maire de quartier, je n'ai pas voulu le prendre tant que j'avais mes enfants à la maison. Là, aujourd'hui, ils sont étudiants, ils ne sont plus là. Cela fait un an que j'ai pris le relais de maire de quartier, parce que j'avais plus de temps.
Moi, j'avais des parents commerçants dans une station de ski. Ils travaillaient tout le temps. Ils avaient beaucoup de commerce. Je travaillais à 12 ans dans les commerces avec mes parents. Parce que c'était la vieille école, il fallait travailler. Alors, je skiais beaucoup aussi, quand même. (rires) Et je faisais beaucoup la fête aussi. (rires)
Mais ce que je veux dire, c'est que puisque vous êtes La Fédé, je sais ce que c'est d'être fille de commerçant. Et je ne voulais pas que mes enfants vivent ce que moi, j'ai vécu, passer de nounou en nounou.
C'est pour ça que je vous dis que mon projet, c'était vraiment d'être auprès de mes enfants et d'avoir un mari.
[Fédé]
Ça vous a demandé aussi une certaine indépendance ?
[L.K]
Oui, très jeune aussi. Parce que, quand vous avez des parents qui travaillent beaucoup comme ça, qui sont peu disponibles, vous êtes obligés de vous prendre en charge très vite. Et à 13 ans, j'étais souvent seule.
[Fédé]
Est-ce que, du coup, à l'inverse, vous êtes devenue une maman poule avec vos enfants ?
[L.K]
Non. Je ne dirais pas que je suis poule, je suis là.
Il faut faire ce qu'on a envie de faire quand on est jeune, quand on n'a pas d'enfants, quand on n'a pas de contraintes.
Il faut le faire maintenant.